Parmi les mesures censées « mieux maîtriser et réguler les dépenses de santé » (!), il est question d'étendre à l'ensemble des médecins du secteur public hospitalier des systèmes de rémunération de la performance qualifiés de « rémunération à la performance » (RAP).
De tels modes de rémunération consistent en des « augmentations de salaires individuelles basées sur la performance de l'employé, évaluée individuellement au cours d'une période de temps antérieure ».
Ce dispositif est conforme aux recommandations du rapport Larcher (2008) et est au centre d'un rapport sur la promotion et la modernisation des recrutements à l'hôpital public (rapport Aboud).
La première question qui vient à l'esprit est évidemment: « Que recouvre exactement la notion de performance publique, notamment en matière de santé », et sa corollaire : « Comment évaluer objectivement les résultats des soignants qui contribuent à l'activité hospitalière? »
En effet, on comprend très vite que cette « stratégie managériale » peut aller jusqu'à l'absurde, comme dans cette clinique new-yorkaise où les médecins s'étaient vu fixer un quota de décès. Au lieu d'améliorer la qualité des opérations, ce dispositif a eu un effet que les fins stratèges gestionnaires n'avaient pas prévu: les médecins ont cessé d'opérer.
On imagine ce que l'application d'un tel critère de performance pourrait donner dans un centre anti-cancéreux tel que l'Institut Bergonié. A l'hôpital, la « performance » des personnels de santé dépend du patient qu'ils soignent. Inciter un médecin à être performant, c'est l'inciter à sélectionner les patients qui ont le plus de chance de guérir.
Dans un centre de lutte contre le cancer, ce critère de performance apparaît on ne peut plus aléatoire puisque malheureusement certaines pathologies ne répondent que partiellement aux traitements existants. Mesurer la performance d'un médecin de Bergonié à l'aune des guérisons qu'il obtiendrait semble donc particulièrement aberrant.
Mais au moins, ce critère, pour absurde qu'il soit, a le mérite d'être quantifiable, « objectif ». Dans notre établissement, où existe depuis 2005 un dispositif de rémunération à la performance sous la forme d'une prime variable additionnelle, règne l'opacité la plus complète : nombre de publications pour certains, nombre d'interventions pour d'autres, ou encore nombre de consultations, voilà quelques-uns des critères qui valent à nos soignants d'obtenir toute ou partie de cette prime... ou d'en être exclus.
Nous sommes dans le domaine de la subjectivité, de l'arbitraire et de la suspicion.
Mais il y a pire : l'introduction de critères de performance a un effet pervers car la rémunération à la performance a tendance à détruire la motivation intrinsèque (telle que celle d'oeuvrer au service du public et pour le « bien commun ») qui existe bel et bien, n'en déplaise aux défenseurs des théories libérales, chez la grande majorité des soignants qui ont choisi d'exercer dans des structures non lucratives.
Ainsi, en tant qu'outil de motivation externe, la rémunération à la performance pourrait avoir un effet contre-productif et diminuer à terme, le niveau total d'effort et de motivation au travail.
C'est en tout cas ce qui a été constaté dans plusieurs pays de l'OCDE (Organisationde coopération et de développement économiques ), pourtant pionniers en la matière, qui dans un rapport de janvier 2009, estiment être allés trop loin dans la mise en place d'indicateurs de performance dans les services publics, et concluent que cette forme de motivation ne fonctionne pas.
Alors que la France n'en est qu'au début du mouvement, on assiste à un début de retournement de tendance chez ses partenaires, qui ont compris que pour motiver les agents du service public, des avantages en terme d'évolution de carrière, la participation aux prises de décision ou encore la détermination d'objectifs clairs représentent autant d'éléments à même d'influencer positivement la performance hospitalière.
Si l'objectif est de soigner tous les malades sur un pied d'égalité, la rémunération à la performance est une aberration.