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5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 22:14

 

Le nombre de cancers dans les pays occidentaux, et notamment en France, ne cesse d'augmenter : facteurs environnementaux, mode de vie et d'alimentation, stress, le cancer touche aujourd'hui plus d'un tiers de la population, et on prévoit que cette proportion passera d'ici peu à 50%, devançant toutes les autres pathologies. La médecine lutte pied à pied contre ce fléau, et peut se prévaloir d'avancées significatives tant en matière de diagnostic que de traitement de la maladie.

Aux problèmes sanitaires et humains liés à l'accroissement inexorable du nombre de cancers, on ne peut répondre en diminuant l'offre de soins. Jusqu'à ces deux dernières années, la France disposait de 20 Centres de Lutte contre le Cancer, fruits d'un plan de lutte décidé en 1945 : au fil des années, ces établissements d'expertise, à la fois centres de recherche, d'essais de protocoles, de traitement et de suivi des patients, ont, grâce au concours de spécialistes réputés et d'un personnel dévoué, obtenu des résultats reconnus tant au plan national qu'international.

 

Mais les récentes orientations en matière de santé, appuyées par la funeste loi HPST de Roselyne Bachelot, ont signé l'arrêt de mort de ces Centres d'excellence.

 

Ainsi, les fusions-restructurations, supposées améliorer « l'efficience » des établissements de santé, ont déjà affecté les Centres de Caen, d'Angers, Saint-Cloud, Toulouse... Strasbourg pourrait être le prochain sacrifié.

Or, le récent rapport de l'IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) souligne que beaucoup de projets de regroupements sont des échecs, et que certaines fusions contribuent même à aggraver les difficultés des entités qu'elles ont réunies. Les données et études disponibles « témoignent plutôt des inconvénients de la grande taille pour un établissement hospitalier ».

En effet, passé un certain stade, on fait face à des économies d'échelle, des rendements décroissants, des effets pervers non pris en compte par une vision étriquée de la comptabilité, comme par exemple le coût financier et physique pour les patients, et donc la société, que représente ne serait-ce que le transport vers des centres de traitements dont le nombre diminue alors que la demande de soins, elle, augmente.

 

Cette logique bornée – réaliser le plus possible d'économies sur le papier sans se projeter ni dans l'avenir, ni dans la société prise dans son ensemble– est celle qui préside actuellement aux velléités d'externalisation en tous sens.

C'est ainsi que l'institut Bergonié n'échappe pas à la tempête qui souffle sur les Centres :

  • transfert d'activités jusque-là bien présentes dans l'établissement comme l'ORL, la chirurgie thoracique, la stérilisation, ce qui permet de réduire le nombre de salariés en facilitant ultérieurement le « sacrifice » de certains services,

  • absence de tarification de certains actes et de certaines molécules (plaçant l'établissement en "difficultés financières "),

  • associations avec des cliniques privées aux intérêts forcément divergents (IRM et TEP), bref un sabordage en règle, visant à faire de Bergonié une coquille vide.

A cette aberration économique se greffent, plus graves, de sérieuses questions qualitatives.

 

Transférer les activités jusque-là assurées par les Centres de Lutte contre le Cancer vers d'autres structures, c'est pour les patients à la fois augmenter les délais d'attente tant en matière de diagnostic que de traitement, alors que le temps est un élément crucial dans la lutte contre le cancer, mais c'est aussi confier la vie des patients à des établissements dont ce n'est pas la spécialité, et qui ne se révèlent pas toujours à la hauteur de la tâche.

Ainsi, il a été rapporté qu'une deuxième lecture de lames par le département de pathologie de notre Institut (réseau sarcome), avait permis dans 27% des cas , d'infléchir le diagnostic de malin à bénin. Autant de patients qui, sans cette deuxième lecture, auraient dû subir un traitement tout-à-fait inadapté ! Ce qui est cause de graves conséquences humaines ! Ne parlons même pas de l'effort gaspillé demandé à la protection sociale. De telles erreurs seraient-elles le fait du hasard, de l'incompétence, ou, pire, que des établissements à but lucratif trouvent avant tout leur raison d'être dans la quête du profit, les actes médicaux les plus riches en valeur ajoutée étant ceux qui assurent le plus de bénéfices...

 

Quant au travail d'entretien effectué jusqu'à une époque récente par du personnel de l'Institut dans les services de consultations, les laboratoires et les bâtiments annexes, personnel qui était également chargé de l'évacuation des déchets le week-end, est désormais confié à une société de nettoyage extérieure. Cette société, qui emploie essentiellement des femmes, leur impose des conditions de travail déplorables. Elles sont ainsi chargées de l'entretien d'une série de locaux, tâche qu'elles doivent effectuer en un temps limité, alors qu'il leur est matériellement impossible de le faire ne serait-ce que correctement dans le temps imparti. Pour un travail censé se faire en deux heures, par exemple, il faut compter au minimum trente minutes supplémentaires, sans le moindre répit. Bien entendu, ce travail supplémentaire n'est absolument pas rémunéré !

Il s'agit là d'une véritable exploitation. Les entreprises de ce genre – véritables institutions négrières des temps modernes – l'ont bien compris, qui sont coutumières d'une gestion des employés peu scrupuleuse du droit du travail. Cela leur est d'autant plus facile que bien souvent, leur main-d'œuvre est constituée de femmes seules, en situation difficile, qui ne peuvent se permettre de réclamer leurs droits si elles veulent conserver leur place dans un contexte de chômage de masse. Le personnel qu'elles emploient, payé au minimum et forcé de travailler, pour partie, sans rémunération et sur des horaires confettis, ne peut être défendu par aucun syndicat.

 

Il va sans dire que la qualité du travail rendu dans ces conditions ne peut être à un niveau acceptable pour des Centres de santé, qui se doivent d'avoir des services logistiques et d'entretien à la hauteur de leurs exigences d'hygiène, de sécurité, et de prestige public.

Il ne devrait pas non plus être besoin de relever le coût social en matière de santé au travail, le coût managérial en termes de « turn-over » et autre « burn out », qu'induisent de si lamentables conditions de sous-emploi, répercutés in fine sur la facture.

 

Des esprits soit étroits économiquement, soit peu précautionneux quant à la qualité des soins, soit sans cœur pour le « petit personnel » - ou une triste conjonction de deux ou trois de ces possibilités - ont cru voir dans l'externalisation la panacée pour « réduire les coûts salariaux », et ont donc choisi de recourir à des sociétés privées qui ne s'embarrassent guère de grands principes.

 

 

Pourtant, en raison de tous les défauts que nous avons observés, et une fois a minima chaussé les lunettes du moyen terme, en matière d'établissement de soins le choix de l'externalisation se révèle plus coûteux que l'emploi de personnel « maison », comme l'ont constaté de nombreux établissements en France, qui l'ont abandonnée et sont revenus au système précédent, ou sont en passe de le faire.

 

Il convient de mettre un terme aux démantèlement de centres ; au contraire, et l'actualité tragique dans d'autres domaines de soins nous l'a cruellement rappelé, un maillage efficace et acceptable du territoire, à une échelle au moins régionale, est plus que jamais nécessaire.

Il convient de renoncer immédiatement à toute externalisation dans les établissements de santé, de procéder à la titularisation du personnel précaire qui souhaite travailler à la réussite de la mission de service public des Centres, quelle que soit sa tâche, si humble soit-elle. Il convient de créer ou de restaurer des conditions dignes d'un établissement du XXIème siècle. Il convient de faire mentir une bonne fois pour toute les harpies de mauvais augure qui, prétendant que l'Amour étant précaire, que la vie étant précaire, entendent décréter qu'il n'y aurait pas de raison que le travail ne le fût pas également.

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